Dans ses sculptures et installations, Wilfrid ALMENDRA questionne le devenir pavillonnaire de l'utopie moderniste. Alors que les utopies collectives ont été déçues, les grands ensembles sont tombés en disgrâce et une vaste majorité d'habitants des pays industrialisés considère maintenant l'habitat individuel comme le cadre de vie idéal. ?€ ce nouvel horizon urbanistique, architectural et paysager, correspondent un imaginaire et une certaine conception de la communauté et du "vivre ensemble" ou plutôt désormais "à côté".
Dans la plupart des cas, cette aspiration à la maison individuelle trouve à se réaliser dans des pavillons situées dans des lotissements en périphérie des villes ; alors que chacun de ces pavillons est censée correspondre à l'expression ultime de l'individualité de son propriétaire, elles sont, pour des raisons d'économie de coûts, largement standardisées, partageant des plans types et des matériaux industriels. De leur côté, les habitants s'appliquent à personnaliser ces environnements très balisés, en "customisant" ce qui peut l'être.
Mettant en tension cet aller retour entre individualisme et standardisation, Wilfrid ALMENDRA observe avec empathie la façon dont les hommes s'accommodent de leur cadre de vie, et tentent d'accommoder celui-ci à leurs besoins et à leurs envies, traquant l'expression de leurs aspirations derrière les artéfacts architecturaux et décoratifs.
Ainsi, pour sa série Killed in Action (Case Study Houses) (2009), Wilfrid ALMENDRA s'est inspiré d'un programme architectural iconique de l'après-guerre aux États-Unis, qui visait à construire des maisons modèles, à la fois modernes, fonctionnelles et économiques, afin de répondre au boom immobilier provoqué par la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce programme, qui coïncide avec le début du développement à outrance du modèle d'urbanisme pavillonnaire, a également défini l'archétype de la villa californienne, ainsi que le style de vie et l'imaginaire qui y sont liés, et qui se sont depuis répandus et épanouis dans tout l'Occident. Mais, de la même façon qu'il existe un abysse entre les maisons modèles d'architectes du programme et la réalité pavillonnaire telle qu'elle s'étale désormais en banlieue des villes, Wilfrid ALMENDRA réinterprète dans sa série de dix sculptures murales autant de maisons qui sont restées à l'état de projet, en imaginant, à coup de techniques de bricolage, de matériaux de récupération chargés d'histoires et de références autobiographiques, leur devenir si d'aventure elles avaient été construites.
Parmi les utopies socio-architecturales de l'après-guerre, Wilfrid ALMENDRA est particulièrement intéressé par New Babylon, projet développé à partir de 1959 par l'artiste hollandais Constant NIEUWENHUIS (1920-2005), qui visait à bâtir une ville situationniste sociale, construite en hauteur, libérée du sol, lieu d'épanouissement pour ses habitants. Dans sa sculpture monumentale éponyme (New Babylon, 2009), Wilfrid ALMENDRA s'inspire d'un module urbain en forme d'étoile irrégulière imaginé par Constant : le module est à la fois suspendu, comme si le rêve de Constant de se libérer de la pesanteur de l'histoire pouvait enfin se réaliser, et "pavillonnarisé" par une couche de gros crépi et de marqueterie de bois. Au sol, une plateforme blanche reprend le plan standard d'une maison de constructeur, les différents niveaux correspondant chacun à une pièce. Entre les deux, prenant racine dans le socle et traversant le module, un cyprès relie la réalité à l'utopie, symbolisant la situation de l'homme, les pieds dans les traites à 30 ans sur la maison et la tête dans le rêve.