Pierre Bismuth
17/09/2008 > 21/11/2008
Vernissage le 17/09/2008, de 19h à 21h
En collaboration avec Cory ARCANGEL, Stefan BRÜGGEMANN, Gardar Eine EINARSSON, Matias FALDBAKKEN, Cyprien GAILLARD, Claire FONTAINE, Elisaveta KONSOLOVA, Thomas LÉLU, Jonathan MONK, Aaron SCHUSTER
Sous un titre ironiquement malthusien paraphrasant les consignes d'occupation dans les lieux publics aux États-Unis, PIERRE BISMUTH a invité dix artistes et auteurs à collaborer chacun à une ou deux œuvres autour d'un des thèmes centraux de sa pratique artistique, l'idée de sabotage.
Familier du principe des collaborations, dans le champ des arts plastiques comme en dehors (il est notamment l'auteur du synopsis du film Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui lui a valu d'être le seul artiste plasticien à avoir jamais obtenu un Oscar, celui du Meilleur scénario original en 2005, aux côtés du réalisateur Michel GONDRY et du scénariste Charlie KAUFMAN), PIERRE BISMUTH s'attache ici à brouiller la notion classique d'auteur.
Abandonnant le monologue de l'artiste solitaire et explorant diverses modalités de collaboration, l'exposition est à la fois un exercice démultiplié de création à quatre mains et deux cerveaux, et un prototype d'objet curatorial inédit.
Dans Shallow, le travail de BISMUTH sur le glissement de sens lié au langage, à l'œuvre par exemple dans sa série des Synonymes, croise le nihilisme conceptuel de Stefan BRÜGGEMANN. Le mot "SHALLOW" est surimposé sur le lettrage en néon "NO CONTENT". Les synonymes s'opposent par leur présentation formelle, la pièce en néon blanc se trouvant "vandalisée" par un vulgaire graffiti. Dans une seconde collaboration, Two Letters, un "N" et un "O" en tubes de néon seulement remplis du souffle des artistes peuvent se lire contradictoirement "ON" ou "NO".
Gardar EIDE EINARSSON utilise souvent une imagerie empruntée aux sous-cultures, et notamment au monde criminel et aux milices d'extrême-droite. Utilisant une palette noire et blanche, son travail possède un lustre punk et stylisé qui évoque la rébellion à travers un sentiment froid et dur de rejet. Pour Antisocial, EIDE EINARSSON a réalisé un diptyque de deux peintures identiques, basées sur des tatouages de prisonniers, dont l'une a été perforée des trous réguliers dont BISMUTH est coutumier, révélant le châssis sous la toile.
One Spray Can Not For Public Use, avec Matias FALDBAKKEN, est une écriture auto-destructive, où l'acte d'écrire induit son propre effacement : un texte est tagué au mur avec une bombe de peinture, suivant le principe que la bombe doit être utilisée en totalité, en repassant sans cesse sur les mêmes lettres ; au final, la phrase originale devient un amas de peinture illisible. BISMUTH a choisi la phrase "Not for public use", comme un commentaire ironique sur la forme de FALDBAKKEN, à la fois éminemment visible et indéchiffrable.
Exhibitions, travail conjoint de PIERRE BISMUTH et Claire FONTAINE, consiste en une série de vidéos où des curateurs miment une œuvre d'art de leur choix, les transformant ainsi en "performers" de l'absurde. En utilisant le potentiel de communication du corps pour décrire une forme plastique, le langage devient secondaire et un autre type de compréhension silencieuse est instituée avec le spectateur.
Pour la collaboration entre PIERRE BISMUTH et Cyprien GAILLARD, c'est ce dernier qui a établi la règle du jeu, en donnant au premier une série de travaux sur lesquels intervenir. Il s'agissait d'une série de quatre cartes postales anciennes en noir et blanc, partiellement couvertes d'un morceau de papier blanc découpé, typique de l'approche "corrective" du paysage de GAILLARD et qui n'est pas sans évoquer, dans un domaine toutefois différent, les Collages pour homme en forme de rhabillage de créatures dénudées de BISMUTH. De façon assez provocante, BISMUTH a signé son nom sur le papier virginal – un jeu sur l'appropriation et la fonction du nom également emblématique de la pratique de BISMUTH.
Appliquant à la série de monochromes Corrective Paintings d'Elisaveta KONSOLOVA, dont la couleur et la position dans l'espace sont, non sans ironie, déterminées par des sciences parapsychologiques, un concept de BISMUTH, leur Corrective Painting (Potemkin Landscape) se réfère à l'histoire supposée des Villages Potemkin, faux lieux de peuplement que le ministre russe Grigori Aleksandrovich POTEMKIN aurait fait ériger pour leurrer l'impératrice Catherine II durant sa visite en Crimée en 1787. POTEMKIN , qui avait dirigé la campagne de conquête de la Crimée, aurait fait construire de fausses façades de villages sur les berges désolées du fleuve Dnieper pour impressionner l'impératrice et sa suite par la valeur de ses nouvelles conquêtes, augmentant ainsi le prestige de POTEMKIN. Ici, le principe du Village Potemkin est renversé à l'ère du capitalisme avancé : la "peinture corrective", grossièrement badigeonnée de vert, n'est plus là pour feindre la civilisation, mais est pensée comme rideau artificiel de nature susceptible de cacher les dégâts de l'urbanisation anarchique.
La collaboration avec Thomas LÉLU (Untitled) est un travail composé de la surimpression de deux images d'oeuvres iconiques d'artistes modernes et contemporains (Sol LeWITT / Paul McCARTHY d'une part, Helmut NEWTON / Sigmar POLKE d'autre part). Cette vision dédoublée et chaotique de l'art reflète la désorientation du spectateur face à des critères d'appréciation fluctuants, en même temps que le croisement de deux iconographies familières sabote leurs effets, et provoque des résonances accidentelles et inattendues.
La collaboration entre Jonathan MONK et PIERRE BISMUTH, qui n'en sont pas à leur coup d'essai, est un jeu de miroirs : une paire de peintures se référant l'une à l'autre et presque identiques, postulant l'une qu'elle doit être accrochée à la gauche d'une œuvre de BISMUTH, et l'autre à la droite d'un MONK. Peinte par une tierce personne, les instructions littérales des œuvres sont court-circuitées, aucune des deux œuvres n'étant attaché à l'un ou l'autre des artistes par un acte physique. Ce qui reste est un paradoxe, dans lequel l'activité artistique est transformée, dans la lignée de la tradition conceptuelle de DUCHAMP à KOSUTH, en jeu de désignation. La règle de ce travail méta-artistique est d'être toujours lié à une autre œuvre, subvertissant ainsi l'autonomie de l'œuvre : la dépendance devient nécessité.
Déjà activé dans une précédente exposition réunissant BISMUTH et MONK, qui pour remplir l'espace trop vide à leur goût ont improvisé une sculpture instantanée avec tout ce qu'ils ont pu trouver dans le lieu d'exposition et ses réserves, Object Used to Fill in the Space est constitué cette fois d'une simple poubelle placée dans l'espace.
La pièce Famous, réalisée avec l'auteur et philosophe Aaron SCHUSTER, part de la phrase archiconnue d'Andy WARHOL, prophétisant que "Dans le futur tout le monde aura ses quinze minutes de gloire". Déjà du temps de WARHOL, cette sentence était devenue un cliché, trop vraie pour l'être, et l'artiste lui-même l'avait donc soumis à un certain nombre de permutations humoristiques, telles que "Dans le futur quinze personnes seront fameuses", ou "Dans quinze minutes tout le monde sera fameux." SCHUSTER en a créé une nouvelle variation, transformant la phrase en une tautologie sur le temps et un commentaire sur le rythme accéléré de l'histoire contemporaine : "Dans quinze minutes tout le monde sera dans le futur." L'animation pensée par BISMUTH donne au statement statique un sens de la durée contenu dans le titre, et fournit une version vidéo low-tech de l'esthétique warholienne.
Terminant l'expo, la stratégie de BISMUTH de court-circuiter les produits culturels rencontre l'intérêt de Cory ARCANGEL pour la technologie low-fi se rencontrent. Avec une ironie désabusée, les deux artistes sabotent le film de Guy DEBORD La société du spectacle, mise en accusation désormais classique du capitalisme, en simulant un essoufflement du vidéoprojecteur : l'instruction enjoignant de changer l'ampoule ("Change bulb") apparaît, inamovible, sur les images du film.