Everyone Stands Alone at the Heart of the World, Pierced by a Ray of Sunlight, and Suddenly It's Evening

Communiqué

Alfredo Aceto
12/02/2016 > 09/04/2016

Vernissage le 11/02/2016, de 19h à 21h

Pour sa première exposition personnelle à la galerie, intitulée Everyone Stands Alone at the Heart of the World, Pierced by a Ray of Sunlight, and Suddenly It's Evening, ALFREDO ACETO (né en 1991 à Turin, vit et travaille à Genève) fait s'entremêler récits historiques et personnels, et références à l'histoire de l'art. L'exposition naît de la volonté de créer un lieu mêlant les différentes strates d'une temporalité linéaire. À la fois tour de contrôle de l'artiste et scène ouverte pour le visiteur, l'espace d'exposition devient une plate-forme sur laquelle se dressent les signes de diverses époques, et où se donne à voir une chronologie explosée.

D'abord, il y a la ville ukrainienne de Pripyat qui, de lieu géographiquement existant, devient la représentation du paysage mental d'ALFREDO ACETO et le point de départ de l'exposition. L'artiste s'y intéresse moins pour son histoire dramatique récente, liée à celle de la catastrophe nucléaire de la centrale de Tchernobyl voisine, que pour son potentiel poétique et les rêveries que lui inspire cette ville désormais abandonnée où il ne s'est jamais rendu. Découverte dans les livres d'école, Pripyat est le sujet principal du travail pictural du jeune artiste entre 2005 et 2007.

Dans l'exposition est donc présentée une peinture (S.L.A.V.1) qui reproduit la façade de la galerie de Turin où ALFREDO ACETO a fait sa première exposition et où était présentée une série de collages et acrylique sur papier librement inspirés de Pripyat ; la façade est représentée comme les coulisses d'un théâtre, à la fois techniquement et matériellement, remettant dès lors en cause l'authenticité de l'événement historique vécu et matérialisant ainsi le mélange entre réalité et fiction. La Pripyat imaginée et le siège de la galerie turinoise contribuent tous deux à la détermination d'un des paysages mentaux de l'artiste. La grande toile présentée dans l'exposition a les mêmes dimensions que la porte de la galerie Bugada & Cargnel ; ce faisant, elle témoigne également d'une superposition spatiale et mentale. Le visiteur est donc invité à entrer non seulement dans un espace physique mais aussi dans un espace mental, siège des obsessions et de la mélancolie de l'artiste.

Le déphasage spatio-temporel est accentué par la présence du sol orange qui tient lieu de fondement sur lequel flottent les divers éléments exposés. Pripyat est toujours présente : les œuvres de l'adolescence sont à nouveau présentées mais, cette fois-ci, reproduites en photogravures sur des plaques de zinc (Re-Mental Landscapes I, II, III, IV). Le matériau n'est pas choisi au hasard car il requiert une méthode de gravure particulière qui provient des techniques de développement photographique. Si la photographie a pu être considérée comme une preuve potentielle de vérité, dans le cas présent, elle représente plutôt la volonté de vouloir fixer au mieux une image en mouvement. Les plaques dévoilent leur contenu en fonction d'une perspective et d'un éclairage particuliers qui doivent être constamment recherchés par le regardeur, favorisant ainsi l'interaction avec ce dernier. Mais ces œuvres évoquent également l'immobilité à laquelle la ville de Pripyat semble être condamnée depuis son abandon en 1986.

Tout en y revenant, ALFREDO ACETO construit ce paysage mental statique pour y rechercher une activité antérieure. Pour ainsi dire, il creuse dans son passé pour aller à la recherche de fondements historiques et anthropologiques et, ce faisant, se met sur les traces de la civilisation des Cucuteni-Trypilian (Vème - IVème millénaires av. J.-C.), originaires de l'actuelle Ukraine et qui se sont ensuite déplacés vers l'actuelle Roumanie. Là, au musée de Piatra Neamt, l'artiste s'intéresse aux artéfacts de cette civilisation, et en particulier à une statuette, surnommée Le Penseur, fascinante représentation d'un homme accroupi se tenant la tête entre les mains.

La municipalité de Piatra Neamt ayant pour projet de reproduire, en les agrandissant, certaines statues du musée pour les installer au milieu des ronds-points, ALFREDO ACETO a fait de même, et créé une sculpture (The Thinker) à mi-chemin entre le spécimen archéologique original et la sculpture décorative urbaine. Son esthétique archaïque contraste avec la technologie de pointe utilisée pour la produire – sculptée, à partir du scan 3D de l'original, dans un bloc de polyuréthane par un robot utilisé pour créer des prototypes automobiles. Le rond-point sur lequel ALFREDO ACETO image que trônerait la reproduction du Penseur se trouverait, une fois de plus, dans la Pripyat mentale construite par l'artiste, et laissent ainsi imaginer la possibilité d'un regain d'activité urbaine.

L'ensemble qui se trouve derrière The Thinker rappelle à nouveau le langage théâtral et scénographique. Une toile en PVC de couleur bronze (Loyal Sauce B.C. - Noisy Whitish A.D.) sert, encore une fois, d'élément de réunification spatio-temporelle. Rien n'est fortuit et, cependant, tout traduit un ordre linéaire constamment mis en doute. Le bronze fait référence à l'âge qui succède à celui sous lequel la civilisation des Cucuténiens a prospéré, le rideau, lui, représente les limites de la scène mentale construite par l'artiste, et le matériau même du rideau inscrit l'ensemble de cette production dans l'époque actuelle.

Après avoir passé le rideau, le visiteur se trouve face à une sculpture (Everyone Stands Alone at the Heart of the World, Pierced by a Ray of Sunlight, and Suddenly It's Evening) qui symbolise un présent continu et condense ainsi les réflexions et le travail de l'artiste. Fenêtre installée à l'horizontale, à même le sol, l'œuvre reproduit un élément architectural de la Winchester House (San José, Californie), demeure de Sarah WINCHESTER, veuve du célèbre fabricant d'armes, et dont l'histoire est singulière : alors que son mari, qui a succédé à son père en 1880, meurt en 1881 de tuberculose, Sarah se met à penser qu'une malédiction s'abat sur elle et sa famille. Un médium lui ayant conseillé de construire une maison pour elle et tous les esprits des personnes tuées par la carabine Winchester, et prédit qu'elle vivra tant que la demeure sera en travaux, elle achète en 1884 une ferme qu'elle n'aura de cesse d'embellir et d'agrandir : le travail est continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an, pendant 38 ans, jusqu'à sa mort en 1922. Les plans sont dessinés par Sarah qui chaque nuit se retire dans un salon privé, faisant selon elle appel à des esprits qui lui indiquent sur plans les travaux à effectuer chaque jour, plans remis au matin au maître d'œuvre. La maison passe ainsi de huit à 160 pièces, et comporte des curiosités uniques comme des portes qui donnent sur le vide, des escaliers qui mènent au plafond, des placards sans fond ou, comme reproduit par Alfredo ACETO, des fenêtres sur le sol.

Sur un mur, une horloge criblée de balles (Pripyat) cristallise l'interruption volontaire du temps et, d'une certaine façon, ramène le visiteur à une forme de réalité. Ici, le temps se manifeste par le biais de son plus fidèle reproducteur mécanique. Toutefois, par la représentation de sa rupture intentionnelle, ALFREDO ACETO nous démontre que la représentation du temps n'est que le produit d'une volonté et d'une nécessité propres à l'homme. Dès lors, nous pouvons trouver le moyen de le dominer et de le repenser.

Le plan spatial de la galerie est ensuite défini par la présence de trépieds sur lesquels sont montés des spots lumineux, qui assument leur véritable fonction au coucher du soleil. Au moyen de la lumière artificielle, toutes les œuvres exposées sont mises sur le même niveau, comme les différents éléments d'une structure muséale classique. L'espace construit par ALFREDO ACETO se parcourt alors comme une salle de musée d'histoire naturelle où l'ensemble du dispositif d'exposition tendrait au lissage de l'ordre spatio-temporel au profit d'une accumulation quantitative. Dans ce cas particulier, l'artiste raisonne de manière plus ample et démontre finalement de quelle manière le dispositif d'exposition semble intrinsèquement être destructeur de cet ordre.

Au cours de l'exposition, le visiteur rencontre une seule datation précise, celle inscrite dans la brochure originale de la première exposition d'ALFREDO ACETO en 2007, qui est, en réalité, le seul élément qui documente un événement réellement advenu, événement qui détermine l'existence de la présente exposition. Ici, il n'y a pas de motifs détournés, tout suit une narration, tout a sa logique et son propre équilibre. Ainsi, l'exposition Everyone Stands Alone at the Heart of the World, Pierced by a Ray of Sunlight, and Suddenly It's Evening est à concevoir comme le début effectif d'un parcours qui, toutefois, ne présente pas ici sa propre conclusion.

Quant au titre, il n'est – à l'instar d'un parfum ou d'une odeur – qu'une suggestion émotionnelle et sensorielle de l'artiste au visiteur pour favoriser son entrée dans la dimension spatio-temporelle mise en place par l'exposition.

Attachée au titre, l'inscription "loyal sauce B.C. – noisy whitish A.D." renvoie à une technique mnémotechnique de conversion phonétique inventée par le mathématicien allemand Stanislaus MINK VON WENNSHEIN et qu'Alfredo ACETO a apprise dans sa jeunesse : elle consiste en l'association d'un son spécifique à un nombre afin d'ensuite en déduire des mots facilement mémorisables. L'espace temporel de l'exposition est, par conséquent, compris entre le "loyal sauce B.C. " et le "noisy whitish A.D." – qui reste à décrypter.

 

Eleonora CASTAGNA